Enragé était un euphémisme. Il était fou, fou de rage, fou de haine, fou de vengeance. Hunter était ravagé par l'animosité. Son regard encore plus noir que la noirceur elle-même ne cessait de fixer à tour de rôle ses deux collègues. Il ne les voyait plus de cette oeil. Melody et Aloïs, êtres inférieurs, lui étaient tout simplement nuisibles. Si Ambre ne se cachait pas dans un des recoins de l'immense tour, ses mains seraient probablement tâchés de leur sang impur. Tapant du pied, il ne remarqua pas de suite le sourire satisfait que pouvait afficher Percy. D'un bond, il se leva de sa chaise, l'envoya valser sur le sol dans un fracas qui rompa ce silence palpable.
Hunter les pointa tous du doigt, le regard plus mauvais que jamais.

« Bande d’imbéciles ! Je vous jure que vous allez me le payer. Vous n’êtes rien, rien du tout. Vous êtes nuisibles pour tous ! En plus de m’être inférieurs, vous avez osé vous rebeller contre ma nation. Je vais vous tuer, tous autant que vous êtes. Et toi Aloïs, je t'aurai avant eux. Tu vas morfler. »

Il cracha ses mots avec hargne, son poing tant serré que ses jointures devenaient un peu plus blanche au fil des secondes. Il était tel un démon, tel un monstre prêt à dévorer ses proies. Il voulait tous les exterminer. Chacun d'entre eux.

Ce silence gênant était un moment de répit aux oreilles du chef d'Hyléos. Seul son sourire mesquin collé aux lèvres contrasté avec ce climat de haine. Le menton posé sur sa main, ses yeux passaient d'un membre à l'autre d'Ephialtès. Mise à part Merry qui n'était pas impliquée dans le conflit, il se délectait de voir les autres s'entretuer d'un seul regard. Il était satisfait de la tournure des évènements et ne manquerait pas de le faire remarquer au moment venu. Il savourait ces instants, observer avec la plus grande joie le visage haineux de Hunter, son ennemi favori parmi tant d'autre. Il ne voyait qu'à cet instant le fait de pouvoir le dominer un jour. Cette petite brêche qu'avait formé Aloïs et Melody dans le système de Charybde lui était tout à fait avantageuse.
Absorbé par ses pensées, il ne prêta guère attention au discours menaçant de Hunter. Il balaya l'air de la main.

« Ne te fatigue pas Hunter, tu utilises de la salive pour rien. Tu peux seulement reconnaître que les deux débutants t’ont dominé et que tu ne le digères pas. Quelle honte que de se faire avoir de la sorte. Tu es minable et pathétique à pleurer sur ton sort. Tu me ferais presque de la peine. »

Son rictus ne cessa de s'agrandir en regardant Hunter qui tremblait un peu plus de rage à chacun de ses mots prononcés. Et il se leva à son tour, prêt à riposter à la moindre offensive du chef de Charybde qui s'avançait dangereusement vers lui.

Il arrive un temps où la fausse connerie n'est plus au rendez-vous – ce temps était arrivé en cette triste soirée. Mais elle avait commencé par vérifier les éventuels dégâts dans son quartier, s'était égoïstement occupée de ses propres protégés avant de se rendre à Ephialtès, complètement détendue : tous allaient plus ou moins bien, sauf ceux qu s'étaient joints aux différentes causes. Elle qui prônait la paix, elle qui allait jusqu'à confectionner des couronnes de fleurs pour asseoir son avis et essayer de les faire s'y plier.

Alors quand Hunter crie, s'énerve et décide de briser une pauvre chaise, elle aussi s'agace, mais à sa façon. Un fin brouillard se glisse dans la pièce, ses doigts pianotent gaiement sur la table ronde et elle offre un sourire au plus puissant, applaudissant Percy.

« J'espère que vous êtes tous fiers de vous ? Ambre doit être si énervée, tout ça parce que vous êtes incapables de voir le plus important ! Elle pousse un soupir, gonfle les joues. C'est aussi pour ça qu'elle n'a pas confiance en vous. Vous vous sautez dessus comme des enfants, mais ce sont des vies qui volent, des vies et des familles que vous brisez par cupidité ou jalousie. Aloïs, Melody, je suis sûre que si vous vous excusez, vous serez pardonnés, mais prenez la peine de le faire. Regrettez, s'il vous plaît ! »

Et c'est en joignant les mains en une fausse prière qu'elle achève son discours, le brouillard séparant déjà les protagonistes.

Elle encaisse la haine de Hunter sans broncher, ses dents dévorent ses lèvres à en pisser le sang. Le don qui gratte la surface, le corps qui tremble et le besoin de tous les faire taire qui secoue son esprit et la prend à la gorge comme des senteurs d'ammoniac. Elle déglutit encore une fois, baisse piteusement les yeux aux douces paroles de Merry. Alors elle parle de sa voix cristalline, légèrement haletante – l'effort, aussi bien physique que mental, l'épuise, l'épuise, oh comme il l'épuise.

« Tu dis ça parce que dans ton quartier, ils sont tous heureux. Parce que personne n'est touché par le rejet, ou prend mal une simple critique. Les joues trempées de larmes sales, elle serre les poings et lance un regard assassin à Hunter, prenant son courage à deux mains. Tout est de ta faute ! Sous prétexte que tu viens de l'extérieur, tu t'es permis d'asseoir une domination toute faite, de profiter de tes privilèges et de faire prédominer le racisme ! »

Elle le hait, le hait, veut le briser. Le contrôle est si précaire qu'elle pourrait les pousser au suicide, sans Ambre. Elle tousse, le sang tâche sa main.
Ah.

Un échec, c'est un échec – il le sait et ça lui fait mal de l'admettre, mal de se laisser retomber dans cette soumission faussement docile. Il a la hargne et la culpabilité ; culpabilité d'avoir poussée Melody dans son histoire, persuadé qu'il était qu'en réunissant deux groupes, les chances de réussites seraient plus conséquentes. Il se redresse de toute sa hauteur à la réaction de Hunter, le fauve montre les crocs et frappe la grande table de son poing, se joignant à la demoiselle en larmes.

« SI T'ETAIS PAS QU'UN CONNARD TOUT IRAIT BIEN. il hurle, incapable de se contrôler – t'es venu, tu t'es pointé comme si cette ville t'appartenait, et t'as tué tellement, tellement d'humains. Tu mérites plus de vivre. Alors vas-y, tue-moi, tue-moi et regarde comment notre reine à tous le prendra. »

Il l'affronte sans broncher, persuadé qu'il ne fera rien en présence d'Ambre.
Peut-être a-t-il tort, peut-être pas.

Le battant de la porte claque contre le mur, attirant une horde de paires d’yeux sur elle. Elle ne les regarde pas, passe devant eux sans leur prêter d'attention. Toujours la tête haute, une allure parfaitement soignée, elle s’assoit avec grâce sur son fauteuil attitré. Ambre avait perturbé leur discussion animée, toutefois bien qu’absente, elle avait tout entendu. Elle se racla la gorge.

« Asseyez-vous immédiatement. »

Elle lève les yeux pour la première fois sur ses collègues, ceux qu’elle pensait unis dans chaque épreuve. Déçue était le mot qui lui traversait l’esprit. Cependant, elle ne dégageait aucune émotion à part de la froideur et de l’autorité. Hunter grinça des dents en fusillant du regard un Percy hilare de cette situation grotesque. Elle se racla une nouvelle fois la gorge pour rappeler à l’ordre ses comparses.

« Bien. Je vais être direct et vous n’avez en aucun cas le droit d’émettre une objection. Premièrement, je suis extrêmement déçue de votre attitude à tous. Je pensais que nous étions tous unis, et cela fait partie de notre accord pour être membre d’Ephialtès. Je n’accepterai, de ce fait, aucun autre incident de ce genre. Je ne tiens pas à passer aux solutions extrêmes. En bref, dès la prochaine heure, un communiqué sera rédigé et transmis à chacun des habitants de Synodel. Nous verserons une compensation aux familles des victimes et les dégâts provoqués à Charybde seront réparés dès le mois prochain. Je m’occupe des démarches. Sachez mes chers, que si l’entente n’est pas rétabli au plus vite, je me verrai dans l’obligation de destituer celui qui trahira à nouveau l’ordre. Me suis-je bien fait comprendre ? »

Tour à tour, ils hochèrent la tête, plus ou moins obligés de le faire. Aussi vite qu’elle fut venue, elle se leva et passa la porte, déclarant que le conseil était terminé.
L’entente était plus que jamais en danger.