Pia aime quand la nuit tombe plus tôt, elle s’abat fatalement. Car la nuit change l'allure d'une ville. Elle offre tant de sensations et d’images différentes qu’on ne peut voir en plein jour. Pia est une amoureuse de la nuit.

Après son travail, Pia a vagabondé dans le quartier. Sans savoir où elle allait. Elle savait juste qu'elle avait besoin de renaissance. D'une célébration de la vie. Elle ne voulait pas rentrer. Étrangement, elle ne voulait pas retourner dans son chez-elle calme et morne – mort. Pourquoi rentrer ? Entre l’ici et l’ailleurs, Pia ne fait que peu de différence. Tu pourrais te demander, est-elle perdue ? Mais non, elle avance au rythme de sa marche, et personne n’est d’accord sur la longueur du chemin à suivre. Celui de Pia est probablement très long. Son regard est attiré par les éclairages de la rue, ces répliques de la lumière naturelle. Puis elle regarde autour d’elle, comme si elle se sentait observée. Peut-être que Pia te cherche. Elle te cherche pour te dire combien elle t'aime.
Non, elle ne veut pas rentrer.

Elle finit par s’asseoir. Laissant son corps se poser sur un banc, Pia regarde les gens qui passent devant elle. Ils ont tous l’air tellement pressé. Ne prennent-ils jamais le temps de vivre ? Prends-tu le temps de vivre parfois ? Et Pia de se dire qu’elle est peut-être en train de perdre son temps à être là, assise sur ce banc, immobile. Tout est relatif. Mais elle se demande comment caractériser la perte de temps.
Elle se pose des questions, comme tout le temps.
Sa vie a-t-elle un intérêt quelconque ? a-t-elle seulement un but ?
Pourquoi a-t-elle tant besoin de savoir qu’elle existe ?

Au fond, Pia n’a peut-être aucune consistance. Il lui arrive de douter qu'elle possède un corps. Ce corps qui la restreint pourtant, qui est peut-être cette barrière entre elle et le vrai monde. Pia a peur de disparaître. Et elle a besoin de toi pour exister. Elle n'existe réellement qu'à travers les autres. Elle n'est qu'une gestuelle, une voix, une silhouette qui marquent sa présence. C'est tout. Si elle mourrait, de quoi se souviendraient ceux qui l'ont connue ?

La voilà qui dérive. Elle mitraille son esprit de « peut-être » et de « si ». Encore. Toujours. Une question en entraîne une autre. Et là, elle perd sûrement son temps à se demander à quelle allure il passe.

Il passe trop vite le temps. Sait-elle seulement où elle sera demain ? Elle l'ignore. Tout comme toi. Personne ne peut être sûr de rien. Aucun outil ne peut mesurer la vie. Et Pia ne veut pas la mesurer. Elle ne veut que se persuader que sa vie n'est pas absurde et qu'elle n'est pas seule. Pia peut être consolée par l'autre, l'intime étranger.
Pia ne peut ni arrêter ni ralentir le temps. Elle ne peut que le sentir passer, celui-ci la détraquant un peu plus à chacun de ses passages. Souvent ennemi, parfois ami. Car malgré tous les efforts qu'elle serait capable de fournir, elle ne pourrait jamais égaler l'exactitude et la précision naturelle du temps.